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Musées Cantonaux, 4350 2016/3 2/7
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Balade au fil de l’eau et de l’histoire le long du Rhône genevois

« Et telle le fleuve, s’écoulait la journée, sans que jamais, à contempler le Rhône, j’aie pensé à gaspiller mon temps. » En 1844 déjà, les berges du Rhône, du côté de la Jonction, à Genève, procuraient l’enchantement de l’écrivain anglais John Ruskin. Aujourd’hui encore, la balade qu’offrent les deux kilomètres de berges entre le Léman et la confluence du Rhône et de l’Arve livre de nombreux indices sur les différents usages passés et présents de l’eau dans cet espace patrimonial en continuelle mutation.

Cette excursion virtuelle propose une balade sur l’itinéraire pédestre qui va du pont du Mont-Blanc jusqu’à la pointe de la Jonction. À travers cet itinéraire, une sélection de onze sites a été faite, permettant de se replonger dans l’histoire d’une ville et d’un fleuve. Les textes s’inspirent de l’article de Bernard Weissbrodt, « Balade sur les berges du Rhône urbain genevois », paru dans l’ouvrage Le Rhône. Territoire, ressource et culture, textes réunis par Emmanuel Reynard, Alain Dubois et Muriel Borgeat-Theler (Cahiers de Vallesia 33, 2020).

Rédaction : Candice Dubath, assistante étudiante à l’Institut de géographie et durabilité (IGD) au Centre interdisciplinaire de recherche sur la montagne (CIRM) de l’Université de Lausanne, et Bernard Weissbrodt, journaliste, éditeur du site aqueduc.info.
Graphisme et mise en ligne : Marie-Caroline Schmied, Archives de l’Etat du Valais
Direction scientifique : Emmanuel Reynard, Professeur à l’UNIL et président de l’Association Mémoires du Rhône

Nous remercions les institutions qui ont mis à disposition l’iconographie, en particulier la Bibliothèque de Genève.

© Les Vallesiana, Mémoires du Rhône et Université de Lausanne, avril 2021

 

1. La rade d’où s’en va le Rhône

Les deux blocs erratiques de la rade de Genève du côté des Eaux-Vives : la Pierre Dyolin et, plus éloignée de la rive, la Pierre du Niton proprement dite, qui sert de référence à l’hypsométrie de la Suisse. A gauche, on distingue la proue de la Neptune, grande barque à voiles latines construite en 1904. (bw/aqueduc.info)

Pour commencer cette balade, prenons le temps d’observer la rade et les célèbres pierres du Niton, à proximité de la rive gauche. Ces blocs erratiques sont les témoins de la dernière glaciation, époque durant laquelle le glacier du Rhône, alimenté par le glacier de l’Arve, atteignait une altitude de 1200 mètres à Genève lors de son extension maximale. À cette époque, il y a une vingtaine de milliers d’années, toute la région était sous l’emprise de la glace et on ne voyait se détacher que certaines crêtes du Jura ou du Salève.

Ces deux blocs de granite, l’un baptisé Pierre Dyolin et l’autre Pierre du Niton, proviennent du massif du Mont-Blanc. En 1820, la Pierre du Niton devint célèbre après avoir été choisie par l’ingénieur Guillaume-Henri Dufour comme point de repère du niveau moyen du lac puis de sa carte de la Suisse au 1:100'000. Avec sa cote de 373.60 m au-dessus du niveau de la mer, ce fameux bloc erratique sert aujourd’hui encore de base aux références altimétriques.

2. L’eau emblématique

Photographie du jet d’eau de la Coulouvrenière datant d’entre 1886 et 1891. Auteur inconnu. (Bibliothèque de Genève)

Qui dit rade de Genève, pense d’abord, évidemment, à son « monument » emblématique : le jet d’eau. Son prototype, mis en place en 1886 et haut de 30 mètres, avait d’abord été installé sur le Rhône, à proximité de l’usine hydraulique. Il servait alors de soupape de sécurité aux surplus de pression d’eau lorsque les artisans arrêtaient leurs machines. En 1891, la Ville décida d’en faire une attraction touristique et de le déplacer au cœur de la rade. Jusqu’en 1951, le jet était raccordé au réseau d’eau potable ; depuis lors, il dispose de sa propre station de pompage autonome. Son fonctionnement et son entretien sont assurés par les Services Industriels de Genève (SIG), qui en sont aussi les propriétaires. Grâce à deux groupes motopompes de 500 kW chacun, 500 litres d’eau sont tirés du Léman chaque seconde et propulsés jusqu’à 140 mètres de hauteur.

3. Le Quai des Bergues

Vue des Bergues prise de la petite Fusterie. Sur la droite, l’Île aux Barques, aujourd’hui Île Rousseau. Aquarelle, auteur inconnu. (Bibliothèque de Genève)

Notre balade sur les bords du Rhône urbain commence réellement au pont des Bergues. Au début du XVIIIe siècle, ces quais virent naître des fabriques d’indiennes, où travaillèrent des centaines d’ouvriers. La fabrication de ces toiles peintes, dont le rinçage réclamait beaucoup d’eau, contribua largement à la prospérité de la cité. Cependant, elle déclina rapidement au début du siècle suivant. Le paysage de la rive droite connut alors une profonde mutation : une vingtaine de maisons furent bâties à cet endroit ainsi que l’hôtel des Bergues, l’un des pionniers de la grande hôtellerie suisse, construit en 1834.

L’Île Rousseau, que l’on voit sur la droite de l’illustration, a elle aussi toute une histoire. Compte tenu de sa position stratégique pour le contrôle de la rade, ce gros rocher a d’abord été aménagé comme bastion de la cité, puis transformé en chantier naval sous le nom d’Île aux Barques. Lorsqu’il fut relié au pont des Bergues, il fut transformé en parc public dédié à Jean-Jacques Rousseau. Le site a été rénové et réaménagé en 2012 à l’occasion du tricentenaire de l’écrivain-philosophe natif de Genève.

4. Le pont de la Machine

Le pont de la Machine. Dès 1843, le bâtiment central abrita la machine hydraulique Cordier et ses annexes furent construites en 1863 et 1872. Auteur et date de la photographie inconnus. (Bibliothèque de Genève)

En 1708, l’ingénieur français Joseph Abeille installa une machine hydraulique à la pointe amont de l’île qui sépare le Rhône en deux bras. Ce fut un tournant historique pour les Genevois, qui acceptèrent de s’approvisionner en eau dans le fleuve. Cette station de pompage, qui amenait l’eau jusque dans la partie haute de la ville, alimenta pendant plus d’un siècle de nombreuses fontaines.

En 1843, elle fut remplacée par une machine cinq fois plus puissante, construite par un autre ingénieur français, Jean-Marie Cordier. Placée dans le bâtiment central de l’actuel pont de la Machine, cette nouvelle installation a permis, dès le milieu du XIXe siècle, de créer un réseau de distribution d’eau jusque dans les étages des maisons. Jusqu’en 1995, c’est également au pont de la Machine, sur le bras droit du Rhône, que se faisait la régulation du débit fluvial par le biais d’un barrage à rideaux en bois. Sur le bras gauche, il y a encore un ancien système de vannes qui permettait de gérer l’amenée d’eau aux turbines du Bâtiment des Forces Motrices.

5. Jules César est passé par là

Plaque commémorative du passage de Jules César à Genève en 58 av. J.-C. (bw/aqueduc.info)

Avec ses ponts sur les deux bras du Rhône, l’île – à l’origine un banc de sable – a toujours été un point stratégique. Ce fut d’ailleurs le premier pont permettant de traverser le Rhône à Genève. En 58 av. J.-C., Jules César y fit détruire un pont gaulois pour couper la route aux Helvètes qui voulaient migrer vers l’ouest. Une plaque commémorative apposée sur la tour de l’île rappelle cet épisode, avec un extrait en latin des Commentaires sur la guerre des Gaules rédigés par le général romain.

Suivirent plus tard un pont romain, puis un pont de bois qui, dès le Moyen Age, regroupa diverses installations (moulins, ateliers d’artisanat, boutiques et habitations). Détruit par un incendie en 1670, on lui ajouta un pont parallèle lors de sa reconstruction. Au fil des siècles, les ponts de bois furent remplacés par des ponts métalliques, réunis par une plate-forme commune, puis par des ouvrages en béton permettant le passage des trams. Et au tournant des années 2000, ils furent détruits et reconstruits pour supporter des rames de tram beaucoup plus lourdes.

6. Traces de mort, espaces de vie

La passerelle et le bâtiment des Halles de l’île construit à l’origine comme abattoir municipal. (bw/aqueduc.info)

La pointe aval de l’île fut dédiée à divers usages, tantôt synonymes de mort, tantôt de vie. Au milieu du XIXe siècle, les autorités genevoises choisirent cet endroit pour y construire un grand abattoir municipal. Cette décision s’insérait dans une envie de progrès économique et social et dans une atmosphère de tension politique entre partisans du statu quo et rénovateurs. L’abattoir faisait partie des symboles de cette entrée dans la modernité. Mais, hygiène citadine oblige, ce bâtiment fut très rapidement transformé en marché couvert permanent et rebaptisé Halles de l’île. Abandonné à la fin des années 1960, il a retrouvé une nouvelle vie une décennie plus tard et accueille désormais plusieurs centres d’activités culturelles et un espace de restauration.

De la rive gauche du fleuve, on accède aux Halles par une passerelle tenue par deux poutres métalliques paraboliques. L’autre quai de l’Île, à la belle saison, sert aussi de point d’embarquement pour les croisières sur le Rhône genevois jusqu’au barrage hydroélectrique de Verbois.

7. Lavandières et bateaux-lavoirs

Les blanchisseuses du quai des Bergues. Carte postale, édition Louis Glaser, Leipzig (1900), extraite du site notrehistoire.ch. (© Yannik Plomb)

Le chemin piétonnier qui relie l’extrémité de l’île à l’ancienne usine de la Coulouvrenière évoque, sous le nom de Promenade des Lavandières, le souvenir des femmes qui, jadis, s’activaient laborieusement sur les bateaux-lavoirs amarrés le long des berges du Rhône. Ces installations flottantes étaient utilisées durant toutes les saisons, indépendamment des conditions météorologiques, et non sans risques. En 1913, l’une d’elles sombra dans le fleuve, entraÎnant la mort de trois blanchisseuses. La ville leur a récemment rendu hommage en leur dédiant le nom d’une rue sur la rive droite.

Le dernier bateau-lavoir genevois a disparu au début des années 1940. Mais pour soutenir l’insertion sociale et professionnelle de jeunes en difficulté, une association genevoise a conçu, puis mené à terme en 2012 la construction d’un bateau-lavoir original, aménagé en café-restaurant et participant au projet plus large de mise en valeur des rives du Rhône à des fins culturelles et récréatives.

8. Service de l’eau potable, production d’énergie et régulation hydraulique

Le barrage-écluse du Seujet inauguré en 1995. En arrière-plan, le Bâtiment des Forces Motrices (BFM), monument historique désormais destiné à l’accueil de manifestations diverses.  À droite, « L’Usine », centre culturel autogéré. (bw/aqueduc.info)

Le Bâtiment des Forces Motrices (BFM), qui surplombe le Rhône au second plan, constitue sans aucun doute la clef de voûte du patrimoine industriel du Rhône urbain genevois. Cette usine hydroélectrique, œuvre de l’ingénieur Théodore Turrettini, était équipée de 18 groupes de pompes et de turbines. Inaugurée en 1886, elle fonctionna jusque dans les années 1960. Le BFM fut alors classé monument historique et reconverti en salle de spectacle.

Le barrage-écluse du Seujet qui avoisine ce bâtiment remplit depuis 1995 une triple fonction : il régularise le niveau du Léman, module le débit du Rhône et produit de l’énergie hydroélectrique.

Les aménagements réalisés sur le Rhône à Genève ont parfois entraîné une montée des eaux du Léman et des inondations jusqu’à l’autre bout du lac, ce qui causa des conflits. Le litige, qui était remonté jusqu’aux autorités fédérales, fut résolu en 1884 lors d’une conférence où le Valais, Vaud et Genève adoptèrent une convention intercantonale imposant aujourd’hui encore des normes précises pour la régulation des niveaux du Léman.

9. L’ultime trace des moulins urbains

Anciens moulins de la Coulouvrenière sur le Rhône en 1889. Epreuve photographique argentique, atelier Boissonnas. (Bibliothèque de Genève)

Non loin de là, toujours sur la rive gauche, on découvre l’ultime indice d’anciens moulins urbains. Pendant de nombreux siècles, les moulins à eau ont fait partie du paysage fluvial genevois. Ils se sont multipliés au XVIe siècle, d’abord parce que la ville devait subvenir elle-même à ses besoins, vu l’emprise de la Savoie sur les territoires avoisinants, et ensuite parce que les réfugiés huguenots arrivés massivement après la révocation de l’Edit de Nantes amenèrent avec eux de nouveaux métiers qui avaient besoin de forces motrices.

Vers 1830, les moulins du Rhône urbain genevois fournissaient de l’énergie hydraulique à une vingtaine d’établissements. Cependant, lorsque les turbines du BFM se mirent à tourner, les moulins urbains perdirent toute raison d’être.

10. Dans le triangle de la confluence

Genève, le Rhône : puiserande enlevée en 1881. Dessin de C. Bastard, 1895. (Bibliothèque de Genève)

Avant que le quartier de la Jonction n’entre dans l’ère industrielle, c’est dans cet espace encadré par le Rhône et l’Arve que des réfugiés huguenots importèrent leurs techniques de maraîchage et des produits inconnus des Genevois, tel le cardon épineux. L’arrosage se faisait à la main avec de l’eau de puits ou apportée de l’un ou l’autre des cours d’eau, prélevée parfois dans le fleuve au moyen de « puiserandes », sortes de norias apparues dans les années 1730, comme on le voit sur l’illustration.

Durant des années, ce triangle de la confluence a été principalement occupé par un dépôt des Transports publics genevois, lequel vient de déménager. Un parc public devrait être prochainement aménagé sur ce site, dont l’aménagement est tributaire à la fois de la régulation des débits des deux cours d’eau et de la maîtrise de crues éventuelles au barrage de Verbois.

Mais, en été, la pointe de la Jonction accueille surtout des centaines d’amateurs de baignade, de détente au soleil et de pique-nique.

11. Là où la ville et la nature mêlent leurs eaux

Le confluent vu du viaduc de la Jonction au point le plus fort de la crue centennale de l’Arve (à droite sur la photo) le 2 mai 2015. (bw/aqueduc.info)

A l’extrémité de la pointe de la Jonction, un petit observatoire permet de jeter les ultimes coups d’œil de la balade : côté Rhône, une station de pompage qui récupère les eaux usées de deux grands collecteurs urbains pour les refouler en hauteur vers une station d’épuration située en aval et, côté Arve, un quai où les camions-poubelles déversent leur chargement dans des barges qui sont ensuite déplacées par un « bateau pousseur » sur le Rhône, jusqu’à l’usine d’incinération des Cheneviers, proche du barrage de Verbois.

La confluence de l’Arve et du Rhône a beaucoup fluctué au cours des siècles. En amont, les terres de Plainpalais ont longtemps ressemblé à une plaine marécageuse traversée par une multitude de tresses de l’Arve, débordant régulièrement et charriant de très grandes quantités d’alluvions. Le contraste est flagrant entre les eaux du Rhône épurées par le Léman (débit moyen : 251 m3/s) et celles de l’Arve (79 m3/s) qui, chaque année, déversent 350'000 m3 de sédiments dans la retenue de Verbois.

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